Caravansérail — Centre d'artistes

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Caravansérails: repos et commerce derrière les murs

 


Un article de Marine Caleb

Nous sommes quelque part en Asie. Au milieu de nulle part se dresse un bâtiment fortifié. Des voyageur·se·s y entrent et en sortent, souvent avec du bétail ou des animaux chargés. À travers la haute porte en bois, on peut apercevoir la vie qui grouille à l’intérieur. La vie, mais aussi le repos que sont venus chercher les gens sur leur trajet. Certain·e·s viennent du bout du monde, d’autres ont mis le cap vers l’est. Quelques-un·e·s réalisent un pèlerinage, mais la majorité transporte des produits d’une autre culture aux senteurs et aux textures enivrantes.

Tou·te·s ont trouvé refuge le temps d’une nuit ou d’une semaine dans ce caravansérail. Lieu de passage pour les commerçant·e·s, les caravansérails étaient utilisés chaque soir par des dizaines de voyageur·se·s, de marchand·e·s et de pèlerin·e·s pour se reposer et se restaurer. Ils·elles pouvaient aussi nourrir leurs animaux et se laver.

Véritables carrefours routiers, les caravansérails étaient répartis sur des dizaines de milliers de kilomètres, du Maghreb à la Chine en passant par toute la Méditerranée. Depuis l’Antiquité, plusieurs routes se sont créées pour faire transiter des marchandises entre l’Orient et l’Occident, par la mer ou la terre. Ce sont les Routes de la Soie. Elles reliaient la Chine, le Moyen-Orient, l’Asie centrale, l’Iran, et les pays occidentaux pendant les périodes antique et médiévale. En Anatolie (l’ancienne Turquie), on trouvait des caravansérails tous les 30 à 40 kilomètres, l’équivalent d’une journée de marche. 

Sur ces routes, les marchandises étaient transportées de pays en pays par des groupes de commerçant·e·s à l’aide d’animaux ; ce sont les caravanes. Ce mot vient du persan kârvân (troupe de voyageur·se·s) et a fini par donner le terme caravansérail en français qui vient de kârvânsarâ : sarâ désignant un palais, une grande maison. Ce mot perse a ensuite été traduit en turc pour donner kervansaray. En anglais par contre, c’est le terme fondouk qui est utilisé (hôtel en arabe). 

Les caravansérails étaient des éléments cruciaux du commerce et des Routes de la Soie. C’est sur ces routes qu’ont circulé des biens (lin, coton, pierres précieuses, épices, métaux, papier), mais aussi, plus minoritairement, des idées, des techniques et des religions. Lieux de passage, ils avaient surtout une fonction économique : ils régulaient le commerce et fournissaient un impôt aux gouvernements. Ils pouvaient aussi être des lieux d’échanges politiques, économiques et culturels.

 

Des caravansérails dans les villes

Plus que sur les routes commerciales, les caravansérails étaient aussi construits dans les villes pour loger les voyageur·se·s et les marchand·e·s. Ils pouvaient alors porter d’autres noms : khan (dans l’Empire perse), han (en turc), wikala (au sein de la ville du Caire surtout), fondouk (au Maghreb surtout) et zongo (Sahel).

Souvent à côté du bazar ou du souk (marché en arabe), ils avaient donc une dimension plus commerciale, comme on peut encore le voir à Damas, Alep, Istanbul ou Fez. Les constructions des villes étaient moins fortifiées que celles des routes, l’enjeu de sécurité étant moins important. Dans les villes, comme à Alexandrie par exemple, il existait des caravansérails ou fondouks pour des nations spécifiques : le fondouk des Vénitien·ne·s, de l’Inde, des Catalan·e·s.

Petit à petit, une zone de commerce (centre-ville) s’est formée autour des caravansérails, devenant ainsi des noyaux importants des centres économiques.

 

Origine antique

Les origines des caravansérails sont encore incertaines : elles peuvent remonter au Ve siècle avant J.-C. ou au IIIe siècle avant J.-C. Au plus tard, les premiers caravansérails répertoriés remontent à l’époque des Achéménides dans l’Antiquité. Ayant régné à partir du VIe siècle, c’est la première dynastie perse et leur empire s’étendait de la Libye au Pakistan actuels. À l’époque, l’historien grec Hérodote assimile les premiers caravansérails à de « bonnes auberges », qui étaient déjà situées environ tous les 30 ou 40 kilomètres. 

Leur développement a surtout eu lieu à partir de la période islamique, soit à compter du VIIe siècle. Une mosquée était donc présente en son sein dans les régions musulmanes. Leur économie fonctionnait comme les autres établissements islamiques et les bénéfices étaient reversés pour l’entretien d’une mosquée, d’un hôpital ou autre.

Dans l’Empire perse, les caravansérails étaient de véritables oasis pour les voyageur·se·s traversant le plateau iranien, aride. Les caravansérails ont rendu possible une traversée du pays, mais ont surtout contribué à relier entre elles des régions très isolées.

 

Le gîte, le couvert et la sécurité

Les caravansérails étaient des lieux multifonctionnels. S’ils étaient surtout destinés au commerce, ils servaient aussi de logement et d’entrepôt pour la marchandise. Plus ou moins gros, ils offraient divers services selon leur emplacement. Des bâtiments de forme carrée ou rectangulaire entouraient une cour ouverte. Les murs étaient épais et les fenêtres petites afin de garder la fraîcheur et d’offrir de l’ombre. 

Au rez-de-chaussée, les voyageur·se·s pouvaient entreposer leurs animaux ou faire leurs achats dans les magasins. Il fallait monter au premier étage pour rejoindre les chambres ou les dortoirs. On y trouvait aussi des soupes populaires, entrepôts, bains, fontaines ou autres. Certains disposaient aussi d’une boulangerie, d’un moulin ou d’une prison. Si des voyageur·se·s pouvaient rester plusieurs jours dans ces lieux fortifiés, quelques-un·e·s y résidaient à l’année.

Plus que d’offrir le gîte et le couvert aux voyageur·se·s, ils offraient aussi un lieu sécuritaire aux commerçant·e·s et à leurs marchandises. Nichés derrière des fortifications, les caravansérails situés sur les routes commerciales protégeaient des voleur·se·s. Ils étaient ainsi des éléments cruciaux de la sécurité du commerce entre l’Occident et l’Extrême-Orient. Ces routes étaient d’une importance stratégique pour l’Empire perse et le commerce, mais aussi une source de revenus importante.

Grâce à cette sécurité, c’est entre leurs murs que se formaient les caravanes. Pour éviter les vols et les accidents, les marchand·e·s ne voyageaient pas seuls. Point de rencontre, les caravansérails permettaient aux commerçant·e·s de se réunir et de composer leur convoi au fil des jours et des semaines. 

 

D’hier à aujourd’hui

Autrefois de hauts-lieux de commerce, les caravansérails situés sur les routes sont aujourd’hui pour la plupart en ruines et désertés. Avec l’abandon progressif des Routes de la Soie, la chute des empires et l’évolution du transport maritime, ces lieux ont peu à peu perdu leur utilité d’antan.

Ceux situés dans les villes ont été plus ou moins intégrés dans l’économie de la ville, notamment au Maghreb. Le terme s’est aussi perdu en même temps que l’usage. Si le caravansérail portait des noms différents selon le pays (khan, fondouk, wikala), les termes ont fini par se confondre au fil du temps. En Algérie, dans l’imaginaire de la population, le fondouk fait référence à l’hôtel.

Aujourd’hui, le mot a nourri un orientalisme français surtout, comme c’est le cas des hammams ou de la femme arabe, un fantasme reproduit largement dans la littérature ou la peinture occidentale. Plus que le courant artistique, littéraire ou qu’un concept scientifique, l’orientalisme est une manière occidentale de concevoir l’Orient, mais aussi d’agir dessus et de le créer, selon le chercheur Edward Saïd. L’orientalisme relève du colonialisme et de l’impérialisme, et les nourrit. Selon Saïd, l’orientalisme est une manière occidentale de voir l’Orient comme un ensemble de sociétés sous-développées. Cela se traduit dans les arts par des représentations exotiques, folkloriques, mais aussi dans l’attitude des Occidentaux·ales. 

Utilisé surtout dans la langue française, le caravansérail a largement été reproduit par les arts. Les anglophones se sont plutôt approprié le mot fondouk, qui semble avoir moins inspiré les artistes, mais qui demeure le mot désignant l’hôtel en arabe. 

C’est durant l’Empire ottoman que l’on est passé de lieu de commerce à l’hôtel que l’on connaît. En Iran, par exemple, les caravansérails ont progressivement été abandonnés avec l’arrivée de l’automobile au début du XXe, ce qui a rendu le voyage plus facile. Certains sont devenus des réserves pour la gendarmerie, d’autres des écoles. En 2023, 54 caravansérails d’Iran (sur plus de 200) ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Selon l’institution internationale, ces caravansérails sont les « exemples les plus influents et opulents d’Iran » construit sur des milliers de kilomètres et sur plusieurs siècles.

Dans les centres urbains plus généralement, les caravansérails pouvaient devenir des lieux pour le service public, des hôtels, des musées ou des centres culturels, comme c’est le cas dans la ville de Saïda au Liban, où le Khan el-Franj est le lieu de l’Institut français. Plus au nord, à Tripoli, deuxième ville du Liban, le Khan el-Saboun (khan du savon) est en mauvais état, mais demeure utilisé par des artisan·e·s savonnier·e·s. Quelques mètres plus loin, après avoir passé des étals de sous-vêtements et une colonne de l’époque romaine se trouve le Khan el-Khiyyatin (khan des couturiers). Étroit dans sa largeur, cet édifice haut et allongé est encore aujourd’hui le lieu des couturier·e·s de la ville et l’on peut y réparer un vêtement pour une poignée de livres libanaises.

Parmi les exemples les plus emblématiques, impossible de passer à côté du Khan el-Khalili, le grand souk du Caire en Égypte. Cet immense marché aujourd’hui très touristique abrite derrière ses hauts murs plusieurs mosquées et, justement, d’anciens caravansérails. Encore un exemple de la fluidité dans les termes utilisés.

 

Des lieux d’étape avant tout

Caravansérail est un terme parmi d’autres pour désigner ces lieux d’étapes durant des traversées commerciales ou de voyageur·se·s sur les Routes de la Soie. Il est surtout le terme le plus utilisé en français et a nourri un imaginaire orientaliste. Le caravansérail est ainsi souvent perçu comme un lieu de vie et d’échanges culturels au milieu de zones désertiques. 

Cependant, il était surtout un espace dédié au commerce, au repos et à la sécurité des marchand·e·s et des voyageur·se·s. On le trouvait aussi dans les villes, où, au fil du temps, il a été intégré dans l’économie locale et a pu être utilisé dans un autre objectif (centre culturel, service public, etc.). Les caravansérails qui se trouvaient dans les zones reculées ont majoritairement été abandonnés. S’ils ont perdu leur vocation première, les caravansérails demeurent dans les imaginaires collectifs et leurs fortifications traversent les époques…


Pour en savoir plus

Babak Ershadi, « L’histoire des caravansérails et des relais en Iran », La Revue du Teheran, no. 25, décembre 2007, en ligne : teheran.ir/spip.php?article90

« Caravanserais: cross-roads of commerce and culture along the Silk Roads», Unesco, consult le 23 janvier 2025, en ligne : en.unesco.org/silkroad/content/caravanserais-cross-roads-commerce-and-culture-along-silk-roads

Dominique Valérian, « Le fondouk, instrument du contrôle sultanien sur les marchands étrangers dans les ports musulmans (XIIe – XVe siècle) ? », dans Claudia Moatti (dir.), La mobilité des personnes en Méditerranée de l'Antiquité à l'époque moderne : procédures de contrôle et documents d’identification, École française de Rome, coll. « École française de Rome », no. 341, 2004, p. 677-698

« Khan el-Franj », Wikipédia, dernière révision le 28 mai 2024, consulté le 23 janvier 2025, en ligne : fr.wikipedia.org/wiki/Khan_el-Franj

Oueded Sennoune, « Fondouk, khan ou wakala à Alexandrie à travers les récits de voyageurs », Annales islamologiques, no. 25, Institut français d’archéologie orientale, Le Caire, 2004, en ligne : ifao.egnet.net/anisl/38/16

Safoura Tork Ladani, « Caravanes et caravansérails de la Perse safavide à travers les récits des voyageurs français », Revue des Études de la Langue Française, 4e année, no. 7, automne-Hiver 2012, en ligne : relf.ui.ac.ir/article_20317_f57e960581eab38a9c32d6b49b583c4c.pdf

« Seljuk Caravanserais », Archnet, consulté le 23 janvier 2025, en ligne : archnet.org/sites/4147

Şükrü Aslan, « La route de la soie historique, auberges et caravansérails : Le cas d’Alacahan à Sivas (Turquie) », Hommes & migrations, no. 1343, 2023, en ligne : journals.openedition.org/hommesmigrations/16293

Tom Schutyser et al. Caravanserai: Traces, Places, Dialogue in the Middle East, 5 Continents Editions, Milan, 2012, 90 p.


À propos de l’autrice

Marine Caleb est journaliste indépendante et travaille entre Montréal, Marseille et le Liban. Spécialisée sur la migration et les droits des femmes, elle s’attache surtout à faire le porte-voix des personnes et des enjeux peu représentés dans les médias. Avec une approche décoloniale et féministe, elle place toujours l’humain·e au cœur de son travail et tente de défaire les clichés et de décortiquer les clivages.

Après un baccalauréat en culture et communication réalisé à Nancy (France), elle réalise un certificat en journalisme à l’Université Laval. À l’Université de Montréal, elle obtient en 2018 une maîtrise en études internationales spécialisée sur la migration, les minorités et l’identité. Elle se lance ensuite dans le journalisme à la pige à Montréal.

Au Québec, elle collabore ainsi avec Immigrant Québec, La Converse, Pivot, mais aussi Les Affaires et la Gazette des femmes. En 2022, elle s’installe à Tripoli au Liban pour y être correspondante et continuer à travailler sur la migration et les femmes. Pour des médias internationaux comme New Lines, Politis, Equal Times ou encore Slate, elle travaille à expliquer la crise économique que subit la population libanaise et réalise aussi des reportages à Chypre ou en Tunisie, grâce à la bourse du Fonds québécois pour le journalisme international. Depuis 2022, elle est rédactrice en chef du magazine des journalistes du Québec, Le Trente.

 

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Résumé

Les caravansérails sont des lieux d’étape pour les voyageur·se·s, les commerçant·e·s et les pèlerin·e·s. Répartis sur des milliers de kilomètres de la Chine au Maghreb, ils étaient destinés au commerce. Plus que le gîte et le couvert aux voyageur·se·s, les caravansérails proposaient divers services.

C’est dans leur enceinte que se formaient les caravanes, des convois de marchand·e·s transportant des épices, du verre ou des tissus. C’est aussi niché dans leurs fortifications que des échanges culturels, politiques ou économiques se faisaient. Cependant, si les caravansérails ont permis de faire circuler des idées, des religions et des techniques, ce n’était pas leur ambition première : elle était plutôt économique. Ils servaient de relais commerciaux dans les régions éloignées, mais on les trouvait aussi dans les villes. Ce sont surtout ceux-ci qui ont survécu aux siècles. 

Aujourd’hui, les caravansérails encore debout n’ont plus cette fonction. Certains sont devenus des entrepôts, d’autres des lieux culturels. Au fil du temps, le caravansérail a nourri un orientalisme français, comme les souks ou les hammams (bains publics), et a été largement reproduit.

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